C’est la hantise des facilitateurs. Nous l’évoquons à chaque formation, à chaque supervision. Aujourd’hui, j’ai envie de vous parler du célèbre Tueur d’Idées.
Celui qui arrive et qui dit : “pfff, de toute façon ça sert à rien de discuter, on ne pourra rien faire/changer/dire/proposer parce que le chef/ la loi/ notre élu/l’Etat/ le système bloque tout”. “De toute manière ça marchera jamais, on l’a déjà essayé”. “Chez nous ce genre d’idée ça ne passe pas”. Le Tueur d’idées, c’est celui qui tue les idées des autres, parfois avant même qu’elles aient germé.
Et bien j’en ai rencontré un… et voilà ce qui est arrivé.
Un groupe de volontaires se réunit pendant 2 jours pour travailler sur l’attractivité du métier d’aide à domicile dans un contexte rural. Objectif: fournir à notre porteur de projet des idées nouvelles pour l’aider à donner envie aux gens de candidater aux offres d’emploi proposées par les collectivités territoriales locales. Sujet difficile, mais avec un sacré potentiel!
Notre groupe de 6 personnes est là, la salle est correcte, avec du soleil. Les facilitateurs sont prêts pour ce sprint de 48h. Le porteur de projet est impatient de commencer. Nous espérons déjà que le prototype que nous présenterons le 3ème jour sera à la hauteur de ses attentes!
Le porteur de projet présente le contexte de son problème : les aspects démographiques, juridiques, sociaux etc. sont exposés avec clarté, questionnés par le groupe pendant près de 2h. Nous devons comprendre ce contexte pour pouvoir nous creuser les méninges et trouver de nouvelles idées.
Et il est là, mon tueur d’idées, prêt à dégainer. Bras fermement croisés sur la poitrine, moue réprobatrice, sourcils froncés. C’est un homme d’expérience, un Directeur. Il parle fort, il a le ton de ceux qui ont l’habitude d’être écoutés et approuvés.
Quand il dégaine, il vise le coeur
Pendant toute la première demi-journée, il saborde, il détruit, il démonte chaque idée, chaque tentative pour générer des idées. “Pourquoi écrire des trucs sur des posts-it, puisque de toutes façons rien n’est possible ? ça sert à quoi de parler avec ces gens-là (les autres participants), puisqu’ils ne sont pas au courant des lois/habitudes/décideurs… ? Et puis le porteur de projet devrait retourner dans son bureau réviser sérieusement son sujet, quand même, avant de nous demander de venir réfléchir pour lui”.
Le groupe est démobilisé, le conflit pointe son nez entre mon Tueur d’idée et mon porteur de projet. Un camp commence à apparaître contre un autre.
On continue ? On arrête ? On tente ?
Nous devions continuer le travail. Avec beaucoup d’énergie nous avons réussi à mener tant bien que mal nos deux journées d’atelier. Nous avons donc choisi de travailler uniquement en petits groupes, binômes ou trio, pour empêcher notre Tueur d’idées de s’adresser au groupe entier et donc limiter sa tribune. Chaque mise en commun s’est avérée être une ouverture qui lui permettait de dénoncer, de critiquer vertement. Bref, il a systématiquement monopolisé la parole, malgré nos interventions parfois musclées pour permettre à tous de s’exprimer.
A la clé, nous avons livré un résultat absolument pas innovant mais suffisamment consensuel pour passer les critiques. La déception s’est ajoutée à la démobilisation de ceux qui voulaient jouer le jeu. Le porteur de projet, poli, est reparti insatisfait.
Bref, ce n’était pas le meilleur moment de ma vie de facilitatrice. Mais j’ai quand même pris quelques bonnes leçons…
Et vous, qu’auriez-vous fait ?